Version Francaise
MARTA FOX
A ce jour, elle a publié 40 livres (romans, nouvelles, essais, poésie), couronnés par de nombreux prix et autres distinctions.
Son ouvre poétique, entraînée par une puissante vitalité, s’apparente a la poésie érotique de confession américaine contemporaine. Dans ses poemes, son romantisme et sa sensualité se melent aux accents symboliques et ésotériques. Explorant et apprivoisant les recoins les plus sombres de l’âme, l’inconscient impregne toutes les couches de la conscience. Sa poésie est tres individualiste, l’auteur se concentre intentionnellement sur ses propres expériences émotionnelles, tres sublimées.
La critique a salué Marta Fox comme une révélation du roman polonais pour adolescents. Elle aborde la sexualité et tous les problemes typiques liés a l’adolescence avec beaucoup de lucidité, de non conformisme et de courage. Ses protagonistes, souvent présentés dans des situations charnieres, sont dans l’obligation de se remettre en question, de prendre ses engagements et premieres responsabilités.
Le ton de Marta Fox n’est nullement moralisateur. Mais le lecteur perçoit bien l’échelle des valeurs de l’auteur. Fin psychologue, elle excelle dans la description de la vie de lycéens, de leur mentalité, de l’image du corps enseignant ainsi que des parents imbriqués dans les conflits de génération et de caracteres.
Depuis quelques années, les romans de Marta Fox sont des best-sellers et arrivent en tete des ventes.
Dans son écriture ou dans la personnalité de ses protagonistes, le lecteur chercherait en vain des accents de grossiereté ou de vulgarité. L’auteur est aussi une poétesse et en tant que telle, sa prose fonctionne a un niveau de réalité plus élevé.
NOUVELLES
„J’enlčve le chapeau en dernier”
Je ne supporterai peut-ętre pas tout
Le Rouge accouche du rouge
POESIE
Comme mon pčre, je veux ętre un garçon
Touche-moi, je n’ai pas eu de femme depuis si longtemps
Aimer
ROMANS
Les Tampons Always doux comme le crachin
Magda.doc
Pauline.doc
Agaton-Gagaton : comme c’est beau d’ętre soi-meme
De gros camions surgissent de la mer
La Société Agaton-Gagaton : essaye sans frotter
Le Ciel avec vue sur le ciel
Une Série de mini romans ” Premier amour ” :
– Soupirs comme les ouragans
– Romeo viendra plus tard
– Elle est loin, l’aube
– Ne m’en accuse pas
– Au fil de l’été indien
– Avant que nous nous quittions
ESSAIS
Ça aurait pu arriver. Ça aurait du arriver.
Rencontre de Wislawa Szymborska dans un počme.
Les Jardiniers du Nord. Triple portrait de počtes.
CORRESPONDANCE
Lettres sorties du chapeau
Traduit par Barbara Alexandra Meister
ALICE AU PAYS DES PORTABLES
Il le faut peut-etre
Il le faut peut-etre comme ça justement
Maintenant aujourd’hui tout de suite
Sans ce qu’il s’est passé ni ce qu’il se passera
Dans la neige
Dans la pluie des magnolias
Qui fleurissent un instant
et
bien avant les feuilles
Il le faut peut-etre comme ça justement
Etre empereur deux jours et une nuit
Se retourner
S’en aller
Ne pas avoir de peine
Ne pas trop penser
Ne pas attendre de devenir la magnolia
Ou une pierre
Au pire une roche
et
Tout recommencer ou exister seulement
Exister
” Si j’entends encore une fois ce portable, je sursaute brusquement et je lui renverse mon café sur son costume impeccable d’une maniere contrôlée,”, pensa Alice dévisageant d’un regard chargé de réprobation l’homme s’asseyant en face d’elle pour la troisieme fois.
Car trois fois déja il sortit dans le couloir pour parler au téléphone qui sonna dans sa poche.
L’homme lui fit un sourire d’excuses en tournant la tete vers la fenetre.
” Voit-il les lilas et les cerisiers en fleurs ? Voit-il le tapis de verdure printaniere
des prairies ? Impossible qu-il aperçoive quoi que ce soit de ce genre „, constata Alice.
Il fait certainement partie de ces jeunes doués donnant toute leur âme a la boîte qui leur donne tous les avantages en exigeant en revanche la disponibilité, la soumission,
une chemise changée deux fois par jour et une pince a cravate. Et, bien évidement,
qui l’attache a son portable comme on attache un chien a sa niche.
Le train roulait a l’allure qui laissait supposer d’etre a l’heure a Katowice.
Alice cogitait s’il valait mieux plutôt passer a la rédaction pour rédiger l’interview,
déja retranscrit de la casette dans le train, ou bien le faire a la maison.
L’écrivain lui accorda la publication sans autorisation car, comme il expliqua, Alice
lui sembla etre un joli métissage de douceur féminine et d’audace de journaliste.
Pourtant, le pourquoi de cette confiance qu’il lui témoigna pouvait etre completement différent.
Chaque auteur se sent flatté si le lecteur manifeste une connaissance profonde
de ses ouvrages, quand il cite des passages, et surtout quand il releve avec habilité
qu’un tel fragment exhibe ses propres émotions ou réflexions. Lui, le lecteur pensait
de maniere tout a fait pareille sauf qu’il n’arrivait pas a exprimer ses idées.
Ces quelques simples stratagemes sont toujours efficaces, indépendamment de l’étendue
de la renommée de la personne.
Alice se trouva dans une situation confortable : pas besoin de théâtraliser la conversation. Elle avait vraiment lu et trouvé dans cette lecture quelque chose qui satisfaisait sa sensibilité et correspondait aux valeurs auxquelles elle voulait croire.
La douceur féminine et l’audace de journaliste ? Elle sourit au souvenir de ces paroles.
Elle aima particulierement cette ” douceur „.
Depuis six mois, c’est-a-dire depuis la séparation de Thomas, jamais elle ne se trouva
dans une situation ou les hommes auraient trouvé une femme en elle. Mais aussi,
elle ne rencontrait pas d’hommes. Ceux qu’elle voyait tous les jours étaient, tout simplement, des copains de la rédaction, des stressés aux yeux rivés sur l’écran
de l’ordinateur.
Personne n’était au courant de leur séparation. Il y avait une regle a la rédaction de ne point parler de sa vie privée. Si quelqu’un posait la banale question ” Comment ça va ? „, on répondait comme dans les films américains : „Merci, bien „.
Elle se sentait fiere d’elle car elle réussit a quitter Thomas au moment ou elle n’était pas encore devenue complexée ni n’avait oublié de quelle relation avec l’homme elle revait.
Thomas lui reprochait de plus en plus d’avoir ses propres affaires et chemins,
mais ce qui l’agaçait le plus c’était le fait qu’Alice ne prodiguait pas de louanges sur ses réussites scientifiques tout au long de la journée. Et, pour terminer, il lui dit qu’il était le
grand temps d’avoir un enfant qui consoliderait leur couple car, bientôt il se pourrait
qu’il ait été trop tard meme pour avoir un enfant. Elle ne crut pas ses oreilles !
Apres huit ans de relation, Thomas demanda sa main ! Il le fit de maniere particulierement peu raffinée, ce qui correspondait tout a fait a la qualité de leur union.
-Pour avoir un enfant faut-il encore faire l’amour, ce que tu oublies depuis au mois deux mois, lui répondit Alice a la place des remerciement attendus pour cette grâce.
-On n’a pas été ensemble depuis si longtemps ? S’étonna Thomas. Vraiment ? Regarde, comme ce temps passe vite, ajouta-il, et, sur de lui, redemanda sa main en lui proposant
de s’installer ensemble ce que pourrait etre, d’apres lui, tres bénéfique.
Ce a ce moment précis qu’Alice comprit que le temps passé avec Thomas ne fut pas perdu car cela lui montra a quoi ne devait pas ressembler sa vie.
Elle laissa de côté la serviette et se leva de table en prenant son sac.
Thomas n’arriva pas a comprendre son comportement et essaya de sauver ce qui
n’existait plus en demandant sa main pour la troisieme fois, plus décidé.
-Bien sur, je t’épouserai, Alice, prononça-t-il avec emphase et le sentiment de bien accomplir son devoir le remplit.
Un quart de seconde, Alice regretta de ne pas devenir violente ou de ne pas fondre en larmes ou bien de ne pas quitter la table sur le champ en jetant la serviette et en se levant brusquement. Puisqu’elle voulait célébrer ce départ, elle resta a la célébration et adressa
a Tomas un sourire moqueur.
-Si tu t’en va maintenant, plus jamais je ne te permettrai de revenir, dit-il furieux mais aussi visiblement surpris.
Plus la peine de permettre�
Les journées d’Alice prirent un nouveau sens tissé d’une insouciance d’absence
de schéma. Elle profitait de cette liberté en appréciant la magie du cinéma et celle
d’une promenade en solitaire. Elle profitait des agréables soirées passées dans un fauteuil avec un livre dans la main.
Parfois, la chaleur des autres mains lui manquait, mais quand elle était avec Thomas,
cela lui manquait aussi.
-Il n’arrivera pas a l’heure, dit l’Homme Au Portable.
Alice abandonna ces réflexions et s’aperçut du train arreté dans la foret.
-Il est arreté depuis longtemps ? demanda-t-elle.
-Huit minutes exactement.
-Vous etes surement pressée, ajouta-t-il et lui tendit son téléphone :
-Je vous prie, vous pouvez appeler et dire que vous etes bloquée dans une foret
avec un homme étranger.
Alice sourit.
-Je ne dois téléphoner nulle part, dit-elle.-Je ne suis pas pressée et personne ne m’attend, mais vous, vous pouvez le faire, vous devez meme le faire.Vous avez certainement eu
le temps de gamberger comment gagner le cent millions suivant, donc vous devez réagir immédiatement. Time is money, monsieur.
L’homme rangea son portable.
-Je gambergeais le moyen de vous aborder pour obtenir votre numéro de téléphone,
mais rien d’intéressant ne m’est passé par la tete.
-Il suffirait de me donner le votre. Je vous appellerai si j’en ai envie, proposa-t-elle.
-Il n’y a pas d’autres solutions ?
-Non.
-Encore, je voudrais dire que je suis célibataire et en bonne santé et�
-Riche, ajouta Alice.
-Je serai riche. Pour l’instant je suis beau et intelligent.
Il lui donna sa carte de visite. Elle regarda le petit bout de papier blanc qui la renseigna
que l’homme s’appelait Raphaël Legis et était dessinateur PAO dans une corporation étrangere.
Elle lui sourit.
– Bonjour, Raphaël, beau blond en bonne santé, intelligent et célibataire, rencontré
dans ce train arreté dans la foret. Je m’appelle Alice.
-Alice. Seulement Alice ? S’étonna-t-il.
Elle haussa les épaules.
-Je comprends, il dit. Tu veux etre mystérieuse. Dis au moins si tu habites a Katowice.
-Bien sur que non, elle répondit, vexée. Je suis une mystérieuse Alice du Pays
des Merveilles.
-Bravo, dit-il d’un ton amusé. -J’aurais du le remarquer tout de suite, mais je ne dois pas etre aussi intelligent que j’ai l’air.
Alice le dévisageait d’au-dessous de sa frange rousse. Tout a coup, sans savoir pourquoi,
car cela n’était pas de son habitude, elle dit :
-Tu me plais Raphaël.
Il tendit la main pour toucher son emmelée et épaisse chevelure. Le train secoua brusquement et Raphaël toucha la tete d’Alice plus tôt qu’il le voulait. Elle se leva
et se blottit contre sa veste agréable au toucher.
Raphaël dégageait l’odeur de promesse d’un sexe féroce dont elle toujours revait
mais n’avait jamais connu avec Thomas.
-Tu es libre ? Vraiment ? Elle préféra s’assurer. -Moi aussi.
Ils ne se parlerent plus jusqu’a la fin du voyage. Toujours en silence, ils monterent
dans une voiture que Raphaël avait laissée sur le parking de la gare. En quelques minutes,
ils arriverent dans un appartement chic du centre ville. La promesse annoncée auparavant
par l’odeur s’avéra juste.
-Reste encore, Alice, dit Raphaël somnolent et ramolli. -Tu as été si sauvage comme
je le pressentais que tu pourrais l’etre, il ajouta.
-Je t’appellerai demain, Alice souffla dans son oreille.
-Je suis sur que tu le feras, murmura-t-il.
” C’était vrai, il avait raison d’etre sur. On ne quitte pas un tel amant au bout d’une fois „, réfléchissait Alice dans le taxi.
Ce soir, elle n’avait plus de force de s’étonner de sa propre irresponsabilité et des mours qu’elle désapprouvait depuis toujours.
Apres une semaine de rencontres avec Raphaël, elle n’était plus sure quelle Alice est
plus réelle : celle coincée et façonnée par Thomas ou bien celle apprivoisée et érotisée
par Raphaël. Elle avait une préférence pour cette deuxieme.
Au bout d’une semaine, Raphaël l’invita a dîner. Entre l’apéritif et la soupe aux oignons
en entrée, il posa devant elle un petit paquet rectangulaire. Alice n’a pas eu le temps
de l’ouvrir ni de jouer un rôle d’une personne étonnée et ravie, adéquat a la situation
car Raphaël releva impatiemment le contenu du paquet :
-C’est un téléphone portable.
Elle leva sur lui ses yeux étonnés.
-Il est pour toi, il expliqua. Les factures viendront a mon nom.
-Mais je n’aime pas de téléphones, surtout les portables, Alice aurait voulu éviter ce cadeau.
-Alors, ne donne ce numéro a personne. Il n’y aura que moi qui t’appellerai.
Elle se tu en essayant de comprendre sa façon de penser.
Ils mangerent le plat principal hâtivement. C’était Raphaël qui imposa ce tempo.
Ensuite, dans la voiture, il attendait avec impatience le moment d’etre a la maison.
Il la comblait et émerveillait. Elle n’aurait jamais pensé qu’on pouvait faire l’amour
avec une telle audace et en avoir encore envie. Elle se sentait belle, indispensable et unique.
-Je te rendrai dépendante de moi, tu verras, assurait-il. -Tu ne désireras que mes mains,
tu ne voudras que moi pour te prendre.
Elle acquiesçait en douceur car une telle captivité lui convenait tres bien.
C’était une expérience qui valorisait chaque morceau de son corps et de sa personnalité.
Apres avoir fait l’amour pendant deux ou trois heures, Raphaël s’endormait.
Alice se blottissait contre son dos musclé et, quand elle le sentait dormir profondément,
elle se levait, prenait la douche, appelait un taxi et rentrait chez elle. Comblée.
Elle se pelotait contre son oreiller mais ne dormait pas toujours paisiblement. Il arrivait,
de plus en plus souvent, que Raphaël, réveillé en pleine nuit, l’appelait en demandant
de retourner immédiatement dans son lit.
-Tu es fou, disait-elle en faisant semblant d’etre fâchée, mais aussitôt elle mettait
son manteau par-dessus sa chemise de nuit, montait dans un taxi et, quelques minutes
plus tard elle s’abandonnait au plaisir d’etre désirée.
A présent, elle avait envie de raconter a Raphaël ce qu’elle faisait, ce qu’elle aimait,
ou elle habitait. Elle projetait meme de concocter un plat délicieux, de l’inviter a dîner
chez elle, de le présenter a ses copines. Cependant, Raphaël restait sourd a ses propos
et ne montrait aucune curiosité. Chaque moment de parole était un moment perdu pour lui.
-Je suis un homme d’action, disait-il. -Est-ce que tu as eu des mecs ?… Bien évidemment, tu as du en avoir plusieurs, répondit-il a lui-meme. -Tu es une femme belle et sensuelle� Alors, est-ce qu’un de ces mecs me ressemblait ? Aucun, répondit-il a lui-meme.
-Toi, tu as certainement eu des intellectuels qui te racontaient tout le malheur du monde, qui examinaient le mot ” rencontre ” du point de vue philosophique et qui, en finale, oubliaient completement que les rencontres existent pour pouvoir prendre le plus grand plaisir du corps, pour pouvoir se découper en lanieres. Exactement, comme nous, maintenant, Alice.
C’était son discours le plus long, apres quoi, il tripotait le corps d’Alice jusqu’a ce qu’elle devienne acharnée, elle aussi, ce qu’il appréciait beaucoup.
Elle n’a donné a personne le numéro du portable. Elle le portait dans son sac et attendait, en s’apercevant de temps en temps, que toutes ses pensées tournaient autour de ce téléphone. Il équivalait Raphaël et Raphaël équivalait sexe. Elle avalait ses repas nerveusement et ne se préparait plus de plats multicolores. Elle tenait une tranche
de jambon d’une main, de l’autre un radis, un concombre ou bien une feuille de salade.
Elle ne s’asseyait que pour manger. Elle s’empressait toujours, prete a tout moment
a courir au son du murmure prometteur de Raphaël. Elle travaillait en accéléré et était
tout a fait capable d’écrire un texte rapidement et avec virtuosité, sans peiner pendant
des heures comme c’étaient les cas auparavant. Le chef de la rédaction la couvrait d’éloges :
-Tu es en excellente forme, Alice, la veine ne te quitte plus. Pourvu que ça dure.
-Pourvu que ça dure, pensait-elle en priant Bon Dieu que Raphaël ne l’appelle pas
au moment d’interview important. Elle ne voulait pas lui refuser et dire ” Pas maintenant, dans une heure ou deux „. Elle voulait pouvoir faire un break de son travail a tout moment pour se rendre a un endroit donné, comme, par exemple, la veille.
Raphaël l’appela quand elle était en train d’ouvrir un fichier dans son ordinateur.
-Qu’est-ce que t’en dis ? Un numéro rapide en pleine journée ? Demanda-t-il.
Elle aussi, elle est devenue une femme d’action car répondit seulement : „Ou ? „. Elle était capable de se trouver a l’autre bout de la ville en quelques minutes. Raphaël tint
sa promesse, c’était vraiment rapide. Elle était prete a faire l’amour avec lui partout:
dans la voiture, dans un ascenseur arreté pour l’occasion, dans une foret parmi les boulots.
Elle retournait au travail avec un petit air débauché, organisée a la perfection. La lingerie
de rechange dans le sac et dans le tiroir du bureau ainsi que des lingettes humides pour arriver a la maison sans regards indiscrets ou elle pouvait se doucher en toute tranquillité.
Ce jour-la, elle était extremement fatiguée. Il ne lui restait plus rien du mode de vie réguliere, avec son plein et joyeux consentement.
Au retour a la maison, elle se dit avec un brin de révolte d’avoir quand meme le droit
a une nuit tranquille. Elle éteignit le portable.
Le lendemain elle écouta la messagerie. La voix de Raphaël était menaçante et ne sonnait pas comme d’habitude.
-Ne fais jamais ça, Alice. Si je t’ai offert ce téléphone, c’est pour qu’on puisse se joindre
a tout moment.
Au début le pluriel de cette phrase trompa Alice, endormit son inquiétude et sa vigilance innée.
Au fil des mois, elle se rendit compte que la liberté dont elle était fiere et dont elle prenait un plaisir délicieux pendant un court laps de temps, fut remplacée par un esclavage
ou il n’y avait plus d’Alice.
Alice sereine lui manquait, en outre l’ordre dans la maison, le cinéma, les lettres
qu’elle cessa d’écrire a son amie et a son frere au Canada, mais aussi les livres,
les magazines, les rencontres avec les copines et les bavardages. Elle s’aperçut que Thomas lui manquait aussi et meme les discussions entre ses collegues de l’université.
Il arrivait des moments ou elle se sentait tres seule. Est-ce qu’elle pensait de la meme façon quand elle était avec Thomas ? Peut-etre. Le téléphone sonna.
-Dans une demi-heure chez moi, dit Raphaël d’un ton autoritaire.
-Ok, Alice obéît.
Cette fois, elle ne ressentit pas de plaisir. Elle observait Raphaël.
Il faisait tout d’une maniere parfaitement mécanique, comme d’habitude.
Elle savait d’avance ce qu’il allait faire. Elle savait aussi quelle réaction il attendait d’elle. Elle joua son rôle sans émotion. Les yeux de Raphaël étaient ternes et sans expression.
Il la regardait sans la voir. Malgré cela, elle se blottit contre lui apres.
-Parle- moi, demanda-t-elle.
-De quoi ?
-Tu crois vraiment qu’on n’a pas de quoi parler ?
-Ne me prends pas la tete, Alice, il dit.-J’ai une réunion importante dans une demi-heure.
Je dois etre en forme.
-Pourrait-on peut-etre partir dans les montagnes, ce week-end ?
-Ensemble ?
-Bien sur. On aura plus de temps pour nous et on se connaîtra mieux.
-Peut-etre, il dit sans conviction ni engagement en mettant une chemise propre.
-Promets-moi que tu y réfléchiras, demanda Alice.
-Je vais y penser.
-Promets-moi que demain tu me feras une proposition concrete.
-Je te le promets.
Alice était contente. Toutes ses pensées noires disparurent en un clin d’oil.
Le lendemain, Raphaël l’appela quand elle était assise dans un parc en train d’organiser ses notes prises lors d’une conférence consacrée a un festival de théâtre.
-Enfin, dit-elle avec joie.
-J’ai une proposition concrete, Alice.
-Oui ?
-Dans une heure chez moi, d’accord ?
-D’accord, Alice soupira sans enthousiasme.
Elle resta assise immobile pendant un moment. Ensuite, elle rangea ses notes dans
une pochette a élastique aux motifs écossais.
” Il ne sait rien sur moi, pensa-t-elle, il ne sait pas ou je travaille ni ou j’habite
et ne connaît pas mon nom „.
Puis elle tapa le numéro de Raphaël.
-Je ne peux pas parler maintenant, dit-il. -On se voit dans une heure.
-Et tu sais comment je m’appelle ?
-Bien sur, tu t’appelles Alice.
-Ou est-ce que j’habite ?
-Au pays des Merveilles, lui répondit-il, un peu agacé.
-Bien. Tres bien, elle l’assura.- Alors, bye, puis elle raccrocha.
Alice regarda le téléphone avec soulagement et répéta : ” bye „. Ensuite, elle le laissa sur
le banc.
” Il m’a fallu tout ça „, elle pensa. ” Maintenant, j’en ai plus besoin. ”
Puis elle rentra a la maison. La sienne.
Traduit par Wioletta Panisset
MES FEMMES VOLAGES
Je ne sais pas encore ce que je ferai
je claquerai la porte je jetterai par terre
le vase rempli de fleurs que tu as ramassées
pour moi hier je crierai tous
les injures que je connais je te raclerai
le visage avec mes ongles vernis transparent je pleurai
ma colere ou je sortirai sans bruit
et ne reviendrai jamais
Son défaut c’est qu’elle n’était pas Yolande.
C’était Marie, ou plutôt : petite Marie.
Ses cheveux étaient roux et longs jusqu’aux épaules. Elle aimait s’asseoir en boule,
les genoux sous le menton. Cette posture m’agaçait énormément.
-Assieds-toi autrement ; je la réprimandais comme une petite fille. C’était encore
a l’époque ou j’avais le courage et envie de lui faire des remarques. Elle changeait de position pour un petit moment et revenait ensuite a sa préférée. En fait, je ne sais pas pourquoi,
quand je me souviens de Marie, je commence par la couleur de ses cheveux et par sa façon
de s’assoir.
J’aurais pu dire, par exemple, que Marie était docile et obéissante mais je la vois ainsi :
rousse et assise en boule.
Je me souviens du jour, ou je suis rentré au ” Pigeonnier „, le bar universitaire ou les étudiants se rencontraient pendant les pauses entre les cours.Cet endroit n’existe plus maintenant.
Il sert aux clercs car les salles d’université ont été transformées en séminaire.
Je venais la pour boire un café et lire un journal.
Depuis ma rupture avec Yolande, mes journées sont devenues plus longues et je n’étais
plus obligé de les planifier comme auparavant. Je me sentais léger et je n’avais plus
aucune attache. Peu a peu, cet agréable sentiment est devenu un poids qui m’envahissait
et permettait que mon temps de travail s’écoule paisiblement entre mes doigts.
Je me suis marié avec Marie cinq mois, jour pour jour, apres ma rupture avec Yolande.
Je ne sais pas pourquoi. Je n’étais pas enchanté par elle, je n’étais point amoureux d’elle.
Je parle des émotions qui accompagnent de tels états. Lors d’un rendez-vous, je lui ai dit :
-Nous allons nous marier.
Elle a hoché la tete sans trop réfléchir.
Je fais connaître ma décision a mes parents tout juste trois jours avant la date d’enregistrement officiel de notre union. Ainsi, je ne leur ai pas donné d’occasion de protester. J’avais raison
de penser qu’ils auraient utilisé tous les moyens pour me convaincre que Marie n’était pas
une fille pour moi et, surtout, que ce n’était pas quelqu’un qui pourrait devenir ma femme. Marie n’habitait pas la rue Fitelberg et cela la disqualifiait immédiatement aux yeux
de mes parents, avant meme qu’ils apprennent quoi que ce soit sur son sujet. Le nom de la rue est, bien sur, un code familial qui signifie un statut social convenable.
Marie étudiait la philologie a l’université et habitait au campus. Meme aujourd’hui,
apres six mois de notre rupture, je ne sais pas de quelle ville elle venait ni qui étaient
ses parents. Je ne le sais pas, parce que je ne l’ai jamais demandé, et elle ne m’a jamais parlé
au sujet de sa famille. Cet état de choses me convenait parfaitement car je n’avais pas envie d’élargir mes liens dits familiaux, ma mere et mon pere m’étaient largement suffisants. L’engrenage des situations artificielles se trouvait en dehors de ma façon d’etre, cela serait
une multiplication inutile des rapports, ce que je voulais toujours éviter.
Marie a emménagé dans mon T2 quelques jours apres ma proposition de mariage.
Elle a aménagé deux étageres dans l’armoire pour y mettre ses t-shirts, ses pulls, sa lingerie
et ses jeans. Les étageres des placards de cuisine lui servaient de bibliotheque :
elle y a mis ses livres. La table de cuisine était son bureau. Cela me convenait tres bien
car je n’étais pas obligé agencer autrement ma chambre ou j’avais toutes mes affaires. Le fait
que ma chambre le restait effectivement me convenait tres bien également.
Marie n’y changeait la place de rien, touchait a rien. Je faisais bien le tour de la chambre avant de partir au travail aux archives. Au retour, je trouvais tout a sa place, comme je l’ai laissé. Bien sur, j’y devais faire le ménage moi-meme, mais ce n’était pas un probleme
pour moi, surtout que Marie entretenait la chambre a coucher, la salle de bain et la cuisine.
Je n’avais rien a dire a ce sujet-la. A part, peut-etre le fait qu’en se lavant les dents, Marie appuyait le tube de dentifrice n’importe ou, et non en bas, comme j’avais l’habitude de faire, moi.
Je ne sais pas pourquoi mes parents ont informé Yolande a propos du mariage. Je voulais
le leurs demander, mais je me suis dit qu’il était inutile de discuter de Yolande et de revenir aux choses qui sont terminées, d’autant plus qu’elles le sont de sa faute. La conséquence
de cette information était une carte de voeux que Yolande m’a envoyée a l’adresse de mes parents. Et eux, ils me l’ont apportée directement a la mairie donc j’ai pu la lire avant
de prononcer le ” oui ” solennel.
Yolande a écrit : ” Pour ton nouveau chemin de vie, je te souhaite (je vous souhaite)
la complicité dont j’ai toujours manquée en étant avec toi „. Cette déclaration m’a surprise,
je l’avoue. Je n’aurais jamais soupçonné qu’il n’y avait pas de complicité entre nous. On était ensemble deux ans, on couchait ensemble régulierement, on est meme parti en vacances
pour passer ensemble dix jours entiers. C’était bien, meme tres bien car je suis l’homme
qui sait ce qu’est le compromis et je prouvais beaucoup de tolérance vis-a-vis de ses caprices
de nana. Pourtant, Yolande a raccourci de quatre jours notre séjour en argumentant que
s’il n’y a pas de soleil, elle n’a pas envie de rester dans une chambre louée et préfere retourner
a ses miejskie katy. Je ne m’y suis pas opposé. Apres avoir fait les calculs, je me suis dit
qu’il était absurde de dépenser de l’argent la, ou il restait infructueux.
Marie, qui ne posait pas trop de questions, s’est intéressée a cette enveloppe, ou plutôt au fait que je l’ai ouverte avant d’entrer a la mairie.
-C’est si important ? A-t-elle demandé.
-Bien sur que c’est important, ma mere s’est précipitée pour répondre.
Marie m’a regardé, ensuite a regardé mon pere. Moi, j’étais occupé par le rangement
de l’enveloppe dans une poche intérieure de ma veste et lui, par l’observation du couple qui, apparemment, devait se marier apres nous. Maman donc a eu l’occasion de finir de dire
ce qu’elle n’avait pas fait avant, soit par le sens inné du savoir-vivre, soit pour donner a Marie la chance de poser une nouvelle question. Elle a du comprendre que la question qui n’était pas prononcée était contenue dans les yeux de Marie.
-Yolande, malheureusement, l’ex-fiancée de notre fils, lui a envoyé ses voeux a l’occasion
du mariage, a dit maman.
-Je ne savais pas que tu avais une fiancée, Marie a dit a voix basse.
-Eh, c’était une fille qui avait de la classe, maman continuait son discours.- Si, aujourd’hui c’était elle qui attendait ici a ta place, il y aurait beaucoup d’invités, sans meme parler
qu’elle aurait pris soin de mettre une robe convenable, elle a fini sans reprendre d’air.
Peut-etre j’aurais du intervenir, mais mon pere ne disait rien, alors moi, non plus,
je n’ai rien dit. Marie a pris les remarques de maman tranquillement. Elle a fait un sourire jaune ou peut-etre meme pas jaune, seulement stoique (je n’ai jamais su déchiffrer ses sourires), et dit :
-Moi aussi, j’en ai pris soin. J’aurais pu m’acheter un nouveau jean, mais j’ai acheté,
quand meme, une robe.
-La premiere depuis sept ans, a ajouté pour étonner ma mere davantage.
Ensuite, elle a demandé :
-Pourquoi Yolande a-t-elle renoncé a votre liaison ?
Elle l’a dit comme ça, je m’en souviens.
-C’est mon fils qui a renoncé, et pourquoi ? Meme moi, je n’arrive pas a comprendre,
a constaté maman.
-Je ne serais pas si sur que c’était lui, a dit mon pere.
Maman lui a envoyé un de ces regards.
J’avais raison de ne pas m’en meler a cette conversation, car je me ferais un ennemi de l’un
ou de l’autre côté et comme cela, tout ça s’est dissolu.
Apres la cérémonie et apres le dîner dans un restaurant avec les parents et les témoins, Marie
a retrouvé son jean. Depuis, aucune trace de la robe ni des copines qui étaient témoins
et que je n’ai plus jamais revues. Maintenant, je pense qu’elle ne l’a pas achetée, cette robe. Peut-etre l’a-t-elle, tout simplement, empruntée a une de ses copines ? Elle ne gagnait pas d’argent (il me semble qu’elle n’en gagnait pas), et me rendait compte scrupuleusement, comme je lui avait demandé, de chaque dépense de l’argent que je lui laissais pour la maison.
Ma mere a raison : Yolande effectivement avait de la classe. Je le pense aujourd’hui, n’essayant meme pas définir ce mot. Yolande avait d’excellentes manieres, avait de l’argent, utilisait des produits de marque et portait la lingerie fine. Elle savait parler a ma mere.
Elle savait parler a tout le monde, a moi aussi. Les petits cadeaux qu’elle nous offrait, a mes parents et a moi, étaient toujours emballés soigneusement dans de belles boîtes et dans
du papier-cadeau assorti. Yolande était discrete et réservée : ne montrait pas ses émotions.
Elle m’intimidait meme par cette distinction, surtout quand on faisait l’amour. Je tâchais
a etre irréprochable. Pourtant, elle m’a quitté (car c’est bien elle qui l’a fait) et, en plus,
au moment ou j’ai commencé a la traiter comme ma femme et je pensais sérieusement
a la légalisation de notre liaison. Je ne comprends pas pourquoi elle l’a fait. Elle s’est décidée avec courage a un tete-a-tete et m’a communiqué qu’elle me quitte car elle a rencontré
un homme sur qui elle fondait de grandes espérances. Elle a dit encore que ce qu’elle attend d’une union, c’est de la douceur, de la chaleur et de la volupté. Ca m’a surpris.
Elle ne devait pas me reprocher que je ne lui donnais pas cela. Evidemment que je le lui donnais. Je la rencontrais régulierement deux fois par semaine, je l’appelais et je l’invitais
une fois par mois au cinéma ou au restaurant.
-C’est drôle comme tu ne comprends rien, Tom, elle a dit quand j’essayais de lui expliquer
tout ça.
Elle m’appelait Tom bien que je lui aie demandé de ne pas diminuer mon prénom.
-C’est toi qui ne comprends rien, Yolande, j’ai dit calmement. -Tu ne sais pas toi-meme
ce que tu veux et c’est pourquoi tu attends de l’homme un traitement d’exception, tu attends plus que quiconque pourrait te donner, plus que je pourrais te donner, moi.
-Voila. C’est ça. Parle plutôt de toi, elle a sourit.
Ensuite, elle s’est levée, m’a tendu la main et elle est partie sans se retourner.
Je l’observais.
Je ne ressentais pas de peine. Je me suis dit qu’un jour, elle manquerait de cette sécurité
que je lui procurais. Je prenais soin d’elle et je ne l’ai pas trompé, a l’exception de ces deux petites aventures érotiques sans obligation et m’étant bien protégé.
Elle ne l’a su jamais alors, c’est comme si ça ne s’était pas passé, d’autant plus
qu’elles n’ont pas laissé d’empreintes sur moi, a part la breve et agréable jouissance.
Avec Marie, c’était plus simple. J’ai jugé bien de ne point commettre d’erreurs du passé.
Je me suis dit : aucune gâterie, aucune habitude au luxe ni soirées au resto. Si elle veut etre avec moi, elle doit m’accepter tel que je suis. Il me semblais que c’était justement le cas, d’autant plus je ne comprends pas son soudain départ. J’ai été honnete, je lui ai proposé
le mariage. Je croyais qu’elle l’appréciait. Marie, contrairement a Yolande n’avait pas un brin de distinction. Au départ, cela me plaisait.
Je n’étais pas obligé de lui courir derriere. Elle était docile. Elle faisait l’amour volontiers, quoique un peu trop vite et trop sauvagement, mais je ne la stoppais pas car, n’oubliant pas
mes dernieres expériences en la matiere, j’ai décidé de ne pas freiner sa façon d’etre.
Marie avait vingt ans et n’était pas vierge (Yolande l’était). Je ne le lui reprochais pas
et je ne l’ai pas questionné au sujet de son passé, enfin, moi aussi, j’avais ces quelques expériences a mon compte. J’espérais qu’elle apprécierait aussi cela.
Avec Marie, je faisais l’amour par téléphone. Je l’appelais parfois des archives, noyé dans
de tas de papiers poussiéreux, et je lui demandais comment elle était habillée. Je suis sur qu’elle était habillée toujours pareille, en vieux jean et en t-shirt délavé, mais en répondant
a mes attentes, elle évoquait des petites culottes avec dentelle et des chemisettes en voile transparent.
Sa voix était monocorde, monocorde et calme et cela me plaisait aussi. Un jour, elle
a demandé : -Tu n’a pas peur de le faire au travail ? Cette question m’a tres excité.
Apres, je voulais qu’elle me la pose a chaque fois dans cette situation, mais elle m’a répondu que c’était ennuyant.
Je rentrais du travail et je la trouvais pliée en boule sur la chaise de cuisine ou sur le lit dans
la chambre a coucher.
-Je ne vois pas sur toi cette lingerie coquette, j’ai plaisanté un jour.
Marie n’a pas apprécié cette plaisanterie car elle m’a répondu : -Mon mari ne la m’a pas achetée.
Tout d’abord, je me suis senti vexé par son impertinence (, je n’achetais pas, non plus,
de lingerie a Yolande). Ensuite, apres avoir réfléchi, je me suis dit que la famille de Yolande était riche, donc certainement, ces parents subvenaient a ses besoins en fringues. J’ai décidé donc de donner, de temps en temps, un peu d’argent a Marie. Je l’ai meme fait une fois,
mais Marie ne l’a pas utilisé selon sa destination. Elle s’est achetée des livres. Bien sur,
j’ai approuvé ça, mais apres, je me suis dit qu’elle peut aller a la bibliotheque. Je suis donc vite revenu a ma décision d’avant de ne pas gâter ma femme. Quand elle aurait fini ses études et quand elle commencera a travailler, elle comprendra ce que signifie gérer ses revenus.
Elle n’a jamais rien réclamé. Elle a toute ma considération pour cela, je l’avoue.
-Et si on avait un enfant ?…, A demandé Marie apres six mois de vie commune paisible
et tranquille.
-Tu plaisantes, j’espere ?…, j’ai dit, offusqué. – Un enfant dans notre situation ?
Tu étudies encore et on n’a que deux chambres !
-Non, je ne plaisante pas, elle m’a répondu.
-Tu m’aurais tres compliqué la vie par ton insouciance, je lui ai expliqué.
-Mon in�insouciance ?…, bégaya-t-elle. – Notre insouciance, s’il te plaît, pas seulement
la mienne. Elle n’a pas pu dissimuler son agacement. – On n’utilise aucun moyen
de contraception !
-Je croyais que tu en utilises, j’en étais meme persuadé parce que tu te comportes comme
une femme expérimentée.
-On n’en a jamais parlé, elle a dit tout bas. -Je croyais donc que si ça arrivera, on serait contents.
Elle m’a énervé avec cela.
-Bien, j’ai avoué qu’elle avait raison. -On va utiliser la contraception. Tu iras chez
un gynécologue et tu conviendras avec lui quels moyens sont les meilleurs pour nous.
-Tu ne comprends rien de ce que je te dis, a-t-elle exprimé sa contrariété.
-Moi ? Je ne comprends pas ? Je comprends tres bien et c’est pour ça je te propose
d’aller voir un médecin, j’ai dit.
Marie n’a rien dit.
-Effectivement, je l’admets, j’aurais du y penser plus tôt. C’est bien que tu aies abordé ce sujet, car on devrait se sentir en sécurité et ne pas se concocter de surprises indésirables.
Je suis allé au cinéma pour me changer les idées. Je n’ai pas proposé a Marie de sortir ensemble, j’y avais droit, enfin ! Les époux ne doivent pas rester ensemble en permanence. Quand je suis rentré, Marie n’était pas la. Elle m’a laissé une feuille de papier sur le bureau avec l’information qu’elle est partie chez ses parents. Je n’aurais meme pas pensé qu’elle avait ou aller. Je ne me suis pas trop inquiété, non plus. La maison était en ordre, toutes
les choses étaient a sa place, les siennes aussi. Je n’avais rien a craindre. Je me suis dit
qu’a son retour, je la questionnerais sur ses parents. J’étais son mari tout de meme, donc
je devrais leurs etre présenté. J’imaginais qui sont ses parents et ou ils peuvent bien habiter.
Elle n’est pas revenue.
C’est-a-dire, elle est revenue apres quelques jours, pendant que moi j’étais aux archives comme d’habitude. Elle a fait ses bagages. Elle m’a laissé une breve et concise information : ” J’ai essayé. Je n’ai pas réussi. Je m’en vais. ”
Cette fois-ci, j’étais en colere. Pas longtemps, mais j’y étais. Depuis, sept mois ont écoulé.
Je ne la cherchais pas car j’espérais qu’elle donnerait un signe de vie, qu’elle comprendra
son erreur et qu’elle reviendrait. Or, elle ne l’a pas fait, je devrai donc me donner la peine
de la retrouver.
Je ne serais pas si pressé si je n’avais pas rencontré Yvonne il y a un mois. J’ai envie
de divorcer d’avec Marie pour légaliser mon union avec Yvonne. Je vais attendre quand meme un peu pour mieux connaître les circonstances de la situation afin de ne pas reproduire d’anciennes erreurs. Yvonne a beaucoup de qualités. Je les vois meme apres cette courte période de fréquentation.
Son seul défaut est le fait qu’elle n’est pas Yolande ni Marie.
Traduit par Wioletta Panisset
SORBIER ROUGE
Dieu créa les nuits qui s’arment de reves
et créa les silhouettes des miroirs pour que l’homme sache
qu’il n’est qu’un reflet et une vanité
Pour cela, les reves et les miroirs nous effrayent
Jorge Luis BorgesFaites, Seigneur que je ne reve pas de miroirs
Qu’ils ne multiplient pas
mon visage qu’ils ne le tordent pas dans tous
les sens qu’ils n’effrayent pas par l’existence de l’autre côté
ou j’ai envie de pénétrer de plus en plus souvent Non pas par pure curiosité
non plus pour d’autres mondes mais seulement pour ne plus voir
mon visage et pour me persuader que l’âme est immortelle donc
nous pouvons parler sans gene et sans crainte qu’un de ces visages
fasse une grimace en entendant ce qu’on est en train
de dire
Elle arriva, vraie professionnelle, une heure et demie avant l’heure prévue du début
du spectacle. D’un pas sur, elle entra au théâtre du côté de l’accueil.
Une employée qui l’attendait la conduisit directement au bureau du directeur.
Sa mine consternée lui fit immédiatement comprendre qu’il y avait un probleme
et que l’origine de cet embarras n’était pas le fait de la venue d’une artiste célebre.
-Expliquez-moi tout de suite ce qu’il s’est passé, peut-etre pourrait-on sauver la situation,
dit Margaux.
On l’aimait pour cela : il n’y avait pas en elle de prétention de grande star. Elle savait discuter avec tout le monde, que ce soit machiniste, régisseur, femme de ménage, collegue actrice
ou bien ouvreuse. A présent, son sourire encourageait le directeur.
-On est sauvé, dit-il, si vous entrez en scene dans une demi-heure. C’est totalement de notre faute. Nous nous sommes rendu compte a l’instant qu’on vous a communiqué une heure
de début de spectacle erronée.
Margaux avala cette nouvelle avec une contrariété visible. Le directeur se raidit en attente d’une réponse plus explicite.
-Ou se trouve ma loge ? Sa question était rapide et directe.
-J’ai une demi-heure, vous dites ? Une demi-heure entiere ? On va y arriver, dit-elle.
-Apportez-moi un thé corsé sans sucre. J’ai un quart d’heure pour l’habillage
et le grimage, le quart d’heure suivant pour me concentrer dans le silence absolu.
Veuillez a ce que l’on ne me dérange pas : pas de journalistes ni de photographes. Personne.
Le directeur, satisfait, exprima sa reconnaissance par des remerciements discontinus
en l’accompagnant a sa loge.
Tout se passa pour le mieux. C’était impossible autrement.
Margaux était assise devant un miroir depuis vingt minutes déja. Examinant son visage fatigué, elle tentait de ne pas entendre les applaudissements qui résonnaient encore en elle,
de ne pas sourire, de ne pas répéter merci, de ne pas se souvenir d’elle-meme sur scene. Oublier. Retourner a l’intérieur, a son intérieur propre qui n’avait rien de commun
avec son métier ni avec le rôle qu’elle venait de jouer. Tous les vases étaient remplis de fleurs, celles qui restaient rentraient a peine dans un sceau en plastique.
-Je n’ai rien a voir avec la femme que je joue depuis six mois, pensa-t-elle. Absolument rien.
Je ne suis pas courageuse. Je ne me débrouille bien que sur scene. J’ignore completement comment faut-il jouer dans la vraie vie. C’est-a-dire, comment jouer pour gagner, pour arriver a un minimum d’harmonie et de paix… C’est peut-etre parce que, justement, je ne joue pas, parce que je suis comme je suis : ni prévoyante ni calculatrice, apathique naive, peu vigilante.
Elle jeta un regard critique dans le miroir. Elle avait la quarantaine qu’on voyait facilement, surtout maintenant dans la forte lumiere exhibant nettement le maquillage coulé
qui démasquait chacune, meme la plus petite ride.
Elle était une femme d’expérience. Pourtant, (elle sourit d’un air perplexe) l’expérience ne lui rien apprit. Combien de fois elle se rendait compte de commettre les memes erreurs ?
A chaque fois, elle se jurait de ne plus les reproduire. Elle savait profiter de
son expérience sur scene, mais pas au quotidien, en privé. Sur scene, elle réussissait a s’identifier au personnage et a interpréter tres bien son rôle, comme par exemple ce jour-la.
Entre deux répliques, pendant un bref moment de silence, elle entendit : d’abord
un bruit léger mais distinct, puis des grincements de sieges, et enfin des nez se moucher.
Quand elle y repensait, elle était satisfaite d’elle-meme.
Ne pas penser. Oublier. Le rideau est tombé. La vie est ailleurs. Tiens, ici
par exemple, dans la loge, parmi les fleurs et les lumieres exhibant sa mure féminité.
Elle mit une épaisse couche de creme sur son visage. Ensuite, avec un morceau de coton hydrophile, elle commença a démaquiller son image scénique ne laissant que les yeux fardés.
” Je me comporte comme toutes les actrices dans les films connus „, pensa-t-elle.
” Elles aussi, fatiguées, rejoignent leurs loges, se regardent dans un miroir et y voient
la mélancolie d’une femme a succes et la tristesse qu’aucun spectateur ne soupçonne.
Margaux tenait a ce qu’aucun détail de sa vie privée ne voie le jour sous les plumes indiscretes des journalistes, ou plutôt, a ce que sorte au grand jour ce qu’elle laisse sortir elle-meme.
C’était un comportement caractéristique de ceux qui ne cherchaient plus a acquérir la célébrité car ils en possédaient assez, sans toutefois vouloir tomber dans les oubliettes.
-Oublier, oublier, répéta-t-elle. Sortir d’ici au plus vite, me retrouver dans ma chambre d’hôtel, me purifier de ce rôle sous une douche chaude et m’endormir jusqu’a demain.
-S’endormir angoissée, se réveiller passionnée,
S’apercevoir de la rougeur des coquelicots�, elle cita d’une voix basse sa poétesse préférée.
Ses réflexions furent interrompues par une discussion derriere la porte.
-C’est impossible, un garde persuadait quelqu’un a voix haute. Vous ne pouvez pas entrer
car madame Margaux ne souhaite voir personne.
-J’ai un rendez-vous fixé. Vraiment. Une voix féminine essaya de convaincre le garde.
Margaux ouvrit la porte. Une jeune fille se jeta d’un seul bond a son cou en disant :
-Tata, tata, ce monsieur n’a pas voulu me faire entrer pour te voir !
Margaux, stupéfaite par cette situation, regarda le garde et dit :
-Ca va, effectivement, j’ai ce rendez-vous.
Elle se libéra de l’étreinte de la jeune fille et ferma la porte.
-Qu’est-ce que c’est, ce cinéma ? demanda-t-elle en dévisageant l’inconnue.
-Je m’excuse, dit la fille d’une petite voix, mais c’était la seule solution pour entrer ici.
-Pour quoi faire ?
-Je souhaiterais que vous autorisiez l’interview que vous m’avez accordée.
-Je n’ai aucun souvenir d’étre interviewée.
-Vous l’avez fait cette nuit dans mon reve.
-Dans votre reve, vous dites�
Margaux semblait etre amusée.
-Tout est possible dans un reve, dit-elle. Lis donc.
Elles se sourirent comme si elle se connaissaient depuis longtemps. Cette situation de film américain ne déplut pas a Margaux.
– Tu ne te fâches pas ? demanda la fille. – Tu ne te fâches plus, tata ?
Elles commencerent a plaisanter et a s’aventurer dans des relations familiales inventées.
-Lis donc, répéta Margaux en s’installant confortablement et en fermant les yeux.
-Etes- vous fatiguée ?
-Oui, répondit Margaux a voix basse.
-Je ne te demande pas, tata, je lis. C’est par cette question qu’a commencé notre conversation
dans mon reve et vous aviez les yeux fermés de la meme façon que maintenant.
Margaux, sceptique, sourit.
-Ecoute, ma fille, il me semble bien�
-” �Elle n’écoute pas, il fait jour dans la ville
Autour il y a� ”
-Ecoute, ma fille, soutint Margaux. -Enfin, comment t’appelles-tu? Tu ne t’es meme pas présentée.
-Je suis Juliette, j’ai�
-Comment j’ai pu ne pas penser a cela avant ! Margaux tapa dans ses mains comme
pour confirmer sa stupidité. -Bien sur, tu es Juliette de Shakespeare, tu as quatorze ans
et, au lieu de rever de l’amour, tu reves d’une interview avec moi.
-Ce n’est pas ça, répondit la fille, visiblement triste.
-Alors c’est quoi ? Voulut savoir Margaux, de plus en plus irritée.
-Je suis Juliette, j’ai vingt trois ans. J’ai touché a l’amour un jour, il avait un gout amer
de café, accélérait le rythme du cour, exacerbait tout l’organisme, réveillait les sens�
-Et s’en est allé, finit Margaux.
-Oui, et s’en est allé, répéta Juliette. -Mais la suite de ce poeme, ce n’est plus mon histoire, mais la vôtre.
Margaux regarda Juliette d’un regard chaleureux comme si elle la connaissait depuis longtemps déja, et manquait d’elle jusqu’a ce moment-la.
” Comment est-ce possible, pensa-t-elle, que cette fille connaisse mon histoire, qu’elle sache que moi aussi, je suis une Juliette qui crie ” reviens ! ” et qui tâche de sang ses levres déchirées ?”
Margaux n’était pas sure de la réalité de ce qu’elle était en train de vivre. Elle regarda la fille, vit ses longs cheveux blonds, ses mains délicates trifouillant nerveusement les feuilles remplies d’écriture minuscule.
-Lis, demanda-t-elle a la fille.
Juliette regarda ses feuilles.
-C’est le théâtre, le succes ou la solitude qui vous fatigue le plus ?
-C’est moi-meme qui me fatigue le plus.
Margaux hocha la tete. Elle aurait répondu exactement de la meme façon.
-Laquelle ?
-Celle a l’intérieur, la plus privée.
” Cette fille a raison „, pensa-t-elle. ” C’est vraiment moi-meme qui me fatigue le plus.
Peut-etre est-ce pour cela que je m’enfouis dans des rôles ; pour etre autrement. Dois-je etre autrement dans ma vie a moi ? Ne pas m’attacher aux attitudes habituelles, ne pas
les reproduire car ce qui s’est passé doit etre assimilé ou rejeté, et basta. Apres, il y a demain, et chaque demain, s’il commence, il commence des l’instant présent. Maintenant, je suis
dans ma loge avec Juliette. Il y a un moment, j’ai anticipé le futur et me voyais déja
dans le lit d’hôtel avec un thé chaud et quelques magazines pour nanas qui m’auraient appris ce que je devrais faire et combien d’heures je devrais consacrer quotidiennement pour avoir l’air jeune et etre séduisante. Si je voulais suivre la moitié de ces conseils, je n’aurais pas pu jouer la moitié de mes rôles car je n’aurais eu le temps de rien faire sinon me faire belle. Est-ce que maintenant j’ai vraiment envie d’etre au calme dans un lit anonyme ou j’entrecroiserai la lecture de magazines et le songe de moi-meme dans le nouveau rôle que l’on vient
de me proposer ?
Combien de fois dois-je remplacer l’acte sexuel par l’acte créatif ? Bien sur, c’est possible „, réfléchissait Margaux.
„Les résultats sont mesurables quoique inversement proportionnels a mes besoins
les plus profonds, ceux que je renie consciemment car depuis longtemps il n’y a personne proche de moi, qui me sert le thé, me met au lit, me demande a quoi je pense et qui n’est
pas indifférent a cela. ”
-A quoi pensez-vous?
Margaux s’aperçut qu’elle ne suivait que de loin le récit, plongée dans ses propres pensées.
-Excusez-moi, dit-elle en regardant la bouche de Juliette, ses levres maquillées d’un brillant transparent. -Tu es en train de lire ou tu me poses la question ?
-Je lis, tata, je lis toujours.
-Alors, qu’est-ce que j’ai répondu dans ton reve ?
-Tu as répondu : ” Je songe a fuir, a trouver une petite gare comme l’avait fait Tolstoi,
et a ce que les autres se posent la question ou je peux bien etre, tandis que moi, je ne serais enfin que pour moi-meme. Je songe a une véritable fuite. On en fait beaucoup ” trop ” et cependant pas assez pour se procurer un espace intérieur, dans lequel on pourrait ressentir la paix, la chaleur et la tristesse ; mais cette tristesse ne serait pas le désespoir ni le mal, seulement la douceur qui deviendrait le silence sans bousculade pour l’avenir.
-J’en fais un de ces baratins dans ton reve, dit Margaux en essayant de négliger ce qu’elle a
soit-disant énoncé.
-Vous n’etes pas d’accord avec cela ? Dois- je reformuler quelque chose ? Ajouter ? Supprimer ?
-Ecoute, ma petite� Ecoute, Juliette, elle se reprit. -Je ne comprends vraiment pas.
– Vous n’etes pas obligée de comprendre. Dites seulement oui ou non ?
– Ok, d’accord. Je dirais comme ça. Es-tu contente ?
-J’en doute pas, tata que tu l’as dit parce que nous avons parlé ensemble et moi, je prenais des notes sur le tas. Meme si je ne l’avait pas fait, je m’en serais souvenue, de tous tes mots.
-Qu’est-ce que tu as avec cette tata ? Je ne suis pas pour toi�.
-Non, tu ne l’es pas, c’est vrai, mais dans mon reve, je t’appelais par ce nom et cela
ne te dérangeait point.
-Que faisais-je d’autre dans ton reve, dis-moi vite et que cette histoire finisse enfin,
je n’en peux plus et je ne me permettrai pas le luxe de perdre le bon sens.
-Dans mon reve tu n’as pas résisté. Dans mon reve tu m’a permis de t’embrasser et de te câliner dans mes bras. Exactement, comme je vais le faire maintenant.
Juliette se mit debout derriere le fauteuil ou Margaux était assise et commença a caresser
ses cheveux, son front, sa nuque et son décolleté. Margaux ne réagit pas.
-Tata, prends-moi dans tes bras, embrasse-moi, demanda Juliette en posant sa tete sur
les genoux de Margaux.
-Juliette, tu t’es trompée. Ce n’était pas moi parce que je ne suis pas�
-S’il te plaît, ne prononce pas ce mot. D’ou peux-tu savoir que tu ne l’es pas et d’ou tu sais que tu n’en revais pas si tu ne m’a meme pas encore embrassée ?
-Ces choses-la, on le sait tout simplement.
-Il n’y a rien de ” tout simplement ” chez toi, tata. C’est toi qui l’a dit.
-Dans ton reve ? demanda Margaux d’un air moqueur.
-Oui, dans mon reve.
-Et qui es-tu, pauvre fille, pour croire aux reves ?
-Je te l’ai déja dit, je suis Juliette.
-Ca, je le sais déja.
-Je suis ta moitié. Vraiment.
-Il manque encore que tu me dises : dessine-moi un mouton et moi, je te le dessinerais
parce que je le faisais parfois pour moi-meme. Ensuite, tu pourras t’en aller d’ou tu viens.
-Le mouton, tu me l’as déja dessiné, dit Juliette en caressant les cheveux de Margaux.
-Dans ton reve, bien sur.
-Dans mon reve, répéta Juliette. Je ne suis pourtant pas sure que c’était un reve parce que
j’ai ce dessin, j’ai tes paroles et je t’ai trouvée. Je suis la, et toi tu est la aussi.
-Quant a moi, je suis la, je n’en doute pas.
-Embrasse-moi et toute inquiétude disparaîtra.
-Ne raconte pas de betises. Je n’ai jamais embrassé une femme. Ma sexualité est bien déterminée et je n’ai pas d’intention de changer d’orientation.
-Qu’est-ce que tu peux savoir sur toi si tu n’a jamais embrassé une femme ?
-Juliette, tu exageres. Je suis fatiguée. C’est terminé. Je n’ai plus de patience ni d’envie
de continuer ton théâtre.
-S’il te plaît, embrasse-moi, touche-moi et je vais m’en aller.
Margaux fit un bref baiser sur le front de Juliette.
-Non, pas comme ça, tata, murmura la fille en prenant Margaux dans ses bras et embrassant son cou.-Je t’ai enfin trouvée, soupira-t-elle.
Margaux n’essaya plus de se débarrasser de ses mains, au contraire. Elle s’adonna
a sa chaleur, a son toucher félin et ne tourna pas la tete quand elle sentit les levres humides
de Juliette sur sa bouche. Cela lui fit un tel plaisir inattendu qu’elle rendit le baiser.
” D’ou elle peut savoir comment faut-il me toucher ? ” pensait-elle. „D’ou peut-elle savoir comment caresser mes seins ? Aucun de mes hommes ne le savait pas, j’ai du les guider tous pour me procurer du plaisir dont je revais „.
Elle ne comprenait pas pourquoi elle se livra a cette fille étrangere, pourquoi elle consentit chaque son geste ni pourquoi elle resta ici avec elle au lieu de réaliser, comme d’habitude, son programme et dormir déja dans des draps raides, sans émotions ni frissons qui l’envahissent maintenant de la tete aux orteils.
Margaux ne se reconnaissait pas. Pourtant, elle sentait qu’elle était elle-meme en ce moment. Elle se sentait bien, comme si quelque chose s’extirpait bien caché au fond d’elle-meme pour enfin donner cette permission de renoncer aux regles imposées au nom des vérités adaptées.
” C’est pas possible „, pensa-t-elle. „Tout simplement ce n’est pas possible „.
-Pourquoi c’est impossible ?
-D’ou peux-tu savoir a quoi je pense ?
-Je t’entends murmurer, tata.
Un frappement a la porte les fit réagir toutes les deux. Juliette se plaça sagement derriere
le dos de Margaux assise dans son fauteuil.
-Entrez, disent-elles a l’unisson.
Le directeur, tout satisfai,t apparut alors, s’inquiétant un peu de la visite prolongée
de la journaliste alors que les autres font la queue derriere. Sans mentionner lui-meme
qui attend avec un apéro.
-Juliette, tu permets, c’est monsieur le directeur du théâtre. Monsieur, c’est ma niece, Margaux fit la présentation d’un ton sec.
-Votre niece ? s’étonna-t-il.
-Nous nous sommes retrouvées apres des années, Margaux sourit.-Donc, vous voyez,
je n’ai pas le temps pour les journalistes.
-Tata, s’il te plaît, trouve-le. Je vais t’attendre. Ensuite, nous serons sures que personne
ne nous dérangera.
Margaux se reprit en une seconde prete a répondre intelligemment et avec humeur
a des questions banales, les unes ressemblantes aux autres. Son professionnalisme consistait,
en l’occurrence a faire valoir les journalistes en leur faisant croire que leurs questions
sont intelligentes, essentielles et différentes des celles posées dans une autre ville dans
une situation semblable.
-Que tout se passe comme si je ne te retrouvais pas, tata, dit Juliette. -Nous allons maintenant honorer de ta présence le directeur et les autres. Ensuite plus personne ne nous dérangera.
Margaux acquiesça de la tete. Elle se changea et fit ses bagages. Elle s’aperçut d’etre docile
et obéissante et, en plus, elle ne craignait pas cette docilité. Elle l’attendait justement
telle quelle, quand la docilité n’exprime rien d’autre a part une envie, une démangeaison irrésistible.
” Je veux passer la soirée et la nuit avec cette fille „, pensa-t-elle.
Effectivement, elle l’attendait sans le savoir. Elle n’avait pas envie de venir ici mais elle le fit. Elle n’annula pas le spectacle malgré le fait qu’il y a quelques jours, elle était prete a payer n’importe quel prix pour ne pas se trouver ici. Ce hasard avait l’air d’un destin bien déterminé. Elle témoigna la reconnaissance a sa bonne étoile malgré son ignorance si
la rencontre avec Juliette signifiera la joie ou la douleur.
-Et maintenant, tata, on va aller danser, dit Juliette apres le cocktail officiel a son honneur.
-Je sais que tu aimes danser et, n’aie pas peur, personne ne te reconnaîtra. On ira dans un endroit ou jamais personne soupçonnerait de te rencontrer.
Margaux se sentit légere comme jamais de la vie. Sa fatigue disparut. Le ” maintenant ”
se dressait devant elle, ce ” tout ” ce qui lui arrivera. Elle conduisait a l’allure modérée, attentive aux indications de Juliette assise a côté et serrant de temps en temps son bras.
Au but de dix minutes elle furent sur place et entrerent dans une petite discotheque appelée ” Axel „. La salle de cette boîte provinciale aux prétentions de discotheque était enfumée
et décorée de fleurs artificielles. Margaux recula d’un pas. Juliette la retint par le bras.
-Ne crains rien, chuchota-t-elle. -Tout ira bien, tu verras.
Elles s’assirent au comptoir parce qu’il n’y avait pas de table libre. A côté, assise sur
un tabouret de bar, une fille mangeait des frites ketchup avec ses doigts.
Le barman fit un sourire encourageant :
-Vous désirez, mesdames ?
-Un jus de pomme, une vodka bison et une table libre, s’il vos plaît, dit Juliette.
-Ce dernier sera difficile, mais je vais essayer de faire quelque chose pour vous, le barman sourit une deuxieme fois et les servit.
-A notre rencontre, Juliette leva son verre.
-A notre rencontre, répéta Margaux perplexe.
Elle trinquerent, se regarderent et éclaterent de rire.
-” Ma petite ville, ce n’est pas San Francisco,
Je peux aller a pied car tout est pres. „, fredonna Juliette avec le chanteur qui criait au micro en s’accompagnant d’un piano électrique.
-Quelle histoire, Juliette ! Je commence a m’y plaire, dit Margaux, légerement embarrassée.
-J’ai deux places pour vous, mesdames, communiqua soudain le barman, toujours aussi souriant. -A cette table, s’il vous plaît, ce monsieur, dame sont d’accord.
Margaux et Juliette prirent leurs verres et se dirigerent vers l’endroit indiqué.
-Vous me rappelez quelqu’un, constata l’homme présent a table, habillé d’un pull montagnard.
Sa partenaire dévisagea Margaux plus attentivement.
-Effectivement, dit-elle. -Si elle se mettait un peu de couleurs sur le visage, elle aurait l’air
de cette actrice�heu�comment s’appelle-t-elle déja ?
-Tata, souris un peu, la dame a raison. C’est vrai, tu te négliges ce dernier temps. Tu sors
une fois par an, meme pas maquillée, dans un vieux pantalon. Prends l’exemple de la dame : tout droit de chez le coiffeur, le petit haut agrémenté de plumettes, les petits yeux tout
en pastels et les ongles vernis. Si tu te soignais un peu, t’aurais l’air de cette actrice�Comment s’appelle-t-elle déja ?
-Tout a fait, chérie. Tu as raison. Tu aurais du me prévenir que l’on sera ici.
-Tu danses ? Le voisin de Margaux lui jeta un coup d’oil invitant.
Sa partenaire en fit la tete.
-Qu’est-ce qu’il y a ? L’homme la regarda. -C’est une soirée de présentation, non ?
La femme prit son sac et s’éloigna de table.
-Tu as inutilement pris peur de cette rombiere, dit-il a Margaux. -Elle pense que si elle a
du fric, elle peut m’avoir tout de suite. Et, merde ! Je ne suis pas si facile ! Qu’elle fasse
un peu d’effort.
-” Vive la liberté, vive la liberté et l’indépendance „, chantonna-t-il.
Toute la salle gambillait. Le chanteur galvaudait le tango.
-C’est notre danse, tata, dit Juliette. -C’est moi qui mene.
-Nous dansons pas mal d’apres les regards, constata Margaux.
-Vous permettez, mesdames, elles entendirent deux hommes taper dans les mains
et se trouverent chacune dans des bras étrangers.
Le chanteur s’attaqua a une nouvelle chanson.
-” Tu as pris mon cour, tu as pris mes reves,
Tu ne m’as laissé que des larmes, ces larmes chaudes „, chantait la salle entiere.
Margaux virevoltait en cherchant le regard de Juliette. Elle lui fit un signe de tete pour sortir.
-” Sorbier rouge, a qui donner mon cour dois-je,
Sorbier rouge, mon pauvre coeur dirige „, chanta la salle.
Juliette se trouva a nouveau dans les bras de Margaux. Ensemble, elles se dirigerent vers
la sortie.
-Ca suffit, soupira Juliette. -Maintenant je ne veux etre qu’avec toi.
Elle regagnerent la chambre d’hôtel en quelques minutes. Elles se regarderent, troublées.
-A quoi cela nous a servi, Juliette ?
-Tu le voulais depuis toujours et moi, je suis la pour réaliser tes désirs.
-Ce n’est donc pas un reve ?
-Non, meme si tout se passe comme dans le mien.
-Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-Maintenant, nous allons laver toute cette fumée de nos corps et nous allons nous endormir.
-Et que se passera-t-il demain ?
-Cela ne dépendra que de nous. Mon reve se termine ici.
Traduit par Wioletta Panisset